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6 janvier 2011 4 06 /01 /janvier /2011 00:46

 

Source: Courrier international - 7 octobre 2010

Auteure: Monique Snoeijen

 

Dans les films de la Suédoise Erika Lust, les femmes ne sont pas des objets dépourvus de volonté, mais des bêtes de sexe pleines d’initiative. Rencontre avec une réalisatrice qui inverse les codes.

Dirty Diaries - le site internet de ce film

Dirty Diaries - le site internet de ce film

 

On pourrait la prendre pour une maîtresse de maternelle avec ses longs cheveux blonds, sa fossette sur la joue et ses bras potelés. Quand elle parle de sexe, il lui arrive de pouffer de rire.

Elle est réalisatrice de films pornos. Son nom, Erika Lust, est un pseudonyme [lust signifie luxure en anglais]. Erika Hallqvist a achevé il y a dix ans ses études de sciences politiques à l’université de Lund et, à présent, cette Suédoise se fait un nom à Barcelone comme réalisatrice de films X. Elle a monté sa société de production Lust Films avec son mari, l’Argentin Carlos Dobner, et a publié récemment le livre Good Porn: A Woman’s Guide [il vient de paraître en français sous le titre Porno pour elles aux éditions Femme fatale]. Ses collègues masculins la qualifient de “féminazie”. Pour le quotidien espagnol El Mundo, elle fait partie des cinquante trentenaires les plus ­influents d’Espagne.

Chez Mail & Female, boutique d’articles ­érotiques d’Amsterdam qui fait aussi de la vente par correspondance, son film Five Hot Stories est un best-seller. Les réalisatrices de pornos – tout au plus une vingtaine dans le monde – ont, contrairement à leurs collègues masculins, ­le souci du détail, dit Ella van der Gang, acheteuse chez Mail & Female. “Parfois, on se retrouve avec des images trop artistiques et plein de caresses avec une plume.” Mais, selon elle, ce que fait Lust est “contemporain et subtil, pas trop sombre, pas trop fantasmatique.” Il y a effectivement peu de caresses avec une plume dans les courts-métrages d’Erika Lust. Elle montre les mêmes actes sexuels que ses collègues masculins, mais dans l’imagerie de la publicité : de beaux hommes et de belles femmes, dans une lumière idéale et des décors d’appartements branchés. Les femmes dans ses films ne sont pas des objets sexuels dépourvus de volonté, mais des bêtes de sexe pleines d’initiative. Ses acteurs utilisent à l’image un préservatif et disent parfois “Je t’aime” après l’orgasme. Erika Lust veut “redéfinir” le porno “selon une perspective féminine”.

“J’ai commencé à faire des films pornos pour moi-même, explique-t-elle. Il n’y avait rien dans ce domaine qui me plaise, qui m’excite.” Le porno soft, où par exemple un couple fait l’amour devant une cheminée, ne produit chez elle aucun effet. “Cela ne me fait rien. Je veux voir des histoires urbaines modernes avec des femmes qui me ressemblent. J’ai besoin de contexte. Il faut apprendre à connaître un peu les personnages. Qui sont ces gens ? Pourquoi couchent-ils ensemble ?”


Lust avait environ 16 ans quand elle a regardé pour la première fois du porno avec son petit ami. Ils avaient trouvé la cassette VHS dans les affaires du père du garçon. “J’ai trouvé ce que j’ai vu condamnable, mais cela m’a excitée. C’était troublant.” D’après Erika Lust, presque tous les garçons se mettent en quête de porno vers 15 ans. “Ils découvrent leur sexualité et sont curieux. Mais le porno standard leur présente une image malsaine de la femme. Que peut-il bien se passer dans la tête d’un garçon lorsqu’il voit un film comme ‘Rocco Siffredi baise huit femmes bulgares dans la baignoire’ ?”

Dans son livre Good Porn, Erika Lust énumère les idées fausses qui risquent de rester bien ancrées dans l’esprit des jeunes hommes s’ils font leur éducation sexuelle uniquement à travers le porno. En voici quelques-unes :
– Les femmes portent des talons aiguilles au lit.
– Les hommes ont toujours une érection.
– Quand une femme se masturbe et qu’un inconnu entre, elle n’a jamais peur ou ne se sent jamais gênée. Elle l’invite tout simplement à faire l’amour.
– Les belles jeunes femmes adorent avoir des relations sexuelles avec des hommes gros et laids d’âge moyen.
Erika Lust envisageait de travailler dans la politique ou dans une organisation internationale, mais à Barcelone, quand on ne maîtrise pas suffisamment le catalan, autant renoncer, estime-t-elle. Elle s’est retrouvée dans le monde de la publicité. Elle a commencé en tant qu’assistante de production, puis elle s’est chargée de la production de spots pour Sony Pictures. C’est là qu’elle s’est initiée à la production. Dans le cadre d’une formation à la mise en scène, on lui a demandé de réaliser un court-métrage. L’idée lui trottait dans la tête, cela faisait déjà des années qu’elle y pensait : un film porno pour femmes.

Derrière l’apparence joviale et décontractée d’Erika Lust se cache une féministe convaincue. “Comme le reste de l’industrie cinématographique, l’industrie du porno est dominée par les hommes”, dit-elle. L’an dernier, pour la première fois dans l’Histoire, une femme metteur en scène a ­remporté un oscar : Kathryn Bigelow, pour Démineurs. “J’étais tellement déçue. Nous avions attendu si longtemps qu’une réalisatrice remporte un oscar, mais Bigelow n’a pas dit un mot à ce sujet dans ses remerciements. Au lieu de cela, elle a remercié l’armée américaine.”

Pour les hommes, le porno est un article usuel, dit Erika Lust. “Ils l’utilisent pour se masturber. Les femmes, elles, l’utilisent pour s’inspirer, pour découvrir ce qui les excite. La stimulation visuelle ne nous suffit pas. Nous avons besoin de mettre tous nos sens à contribution.” C’est pour cette raison qu’elle travaille beaucoup sur la lumière dans ses films et qu’elle choisit soigneusement la musique. “Dans mon premier film, la musique avait trop d’importance. Ce n’est pas bon non plus. On n’entendait plus les soupirs des personnages.” Les femmes se créent le moment propice au sexe, dit Lust. “Elles prennent d’abord un bain, elles ouvrent une bouteille de vin, elles mettent de la musique d’ambiance. Ce n’est qu’après qu’elles peuvent trouver leur bouton sexuel.” Lust veut raconter des “histoires modernes”. Ses scénarios doivent être “réalistes”, dit-elle. Dans son premier court-métrage, The Good Girl (2004), elle reprend la vieille histoire du livreur de pizzas, mais du point de vue féminin. “Chez mes collègues masculins, l’histoire se déroule la plupart du temps de la même manière : le livreur sonne, la fille ouvre et lui sourit, l’homme demande l’argent, la fille n’en a pas, le livreur se fâche, elle sourit à nouveau et se déshabille, il se détend, il a droit à une pipe, il la baise, il jouit et il s’en va satisfait. Vous avez dit sexiste ?” Dans l’histoire de pizza de Lust, une jeune femme qui a une bonne situation a des fantasmes sexuels. “Le film se concentre sur elle. C’est elle qui décide de ce qui se passe. Elle qui décide de vivre ses fantasmes pornographiques quand le livreur de pizzas est devant sa porte. C’est l’archétype du porno du début à la fin, quand le livreur de pizzas éjacule sur son visage. Mais cela ne se produit que parce que c’est elle qui le veut et après qu’elle a eu son orgasme. Puis elle paie sa pizza et en propose une part au livreur.” Dans Life (2010), une serveuse et un chef cuisinier baisent comme des bêtes après la fermeture du restaurant. Ils fêtent l’anniversaire du cuisinier. Quand ils parviennent à l’orgasme, la femme donne à l’homme un petit paquet joliment emballé : un test de grossesse, au résultat positif. Comment ? Un test de grossesse dans un film porno ? Qu’est-ce que cela peut bien avoir d’excitant ? Lust rigole. “Pourquoi pas ? J’ai eu des relations sexuelles formidables quand j’étais enceinte. Le sexe, c’est tellement personnel.”

“Parfois, je me dis : est-ce que je dois appeler cela du porno ? Il est difficile d’expliquer ce que je fais. Je préfère parler de films pour adultes ou, mieux, de nouveaux films pour adultes. Voire de nouvelle vague porno. Je montre des scènes explicites, mais c’est toujours du sexe librement choisi. Les sexothérapeutes prescrivent parfois mes films à des femmes qui ne parviennent pas à ressentir d’excitation. J’ai envie de donner des idées aux femmes.”
Lust veut que les acteurs aient l’air “sain et naturel”. “Mais c’est très difficile d’en trouver qui n’aient pas des seins siliconés ou des muscles bodybuildés.” “Quant à trouver un acteur ou une actrice qui ait une pilosité normale, c’est presque impossible. Dans l’industrie du porno, ils s’épilent tous. Je préférerais que pour mes films ils gardent leurs poils sur le torse et au pubis, mais ils ne peuvent pas le faire, car cela leur ferait perdre des contrats.” Erika Lust n’a rien non plus contre des acteurs plus âgés. “En tout cas, pour les femmes, le sexe devient plus intéressant à mesure qu’elles avancent en âge.” Et Lust n’est pas hostile à un peu de cellulite.

“Au début, je ne savais pas où trouver mes acteurs, dit Lust. Je suis allée voir un agent d’acteurs de porno. Je lui ai dit que je voulais rencontrer les acteurs avant. J’ai dit : je veux savoir qui ils sont, je veux être sûre qu’ils aiment ce qu’ils font. Il m’a regardée comme si j’étais folle. Mais je veux être sûre que mes acteurs sont des personnes équilibrées mentalement, conscientes de ce que cela signifie d’avoir des relations sexuelles devant une caméra. Ils doivent faire ce travail parce qu’ils ont une attitude positive vis-à-vis du sexe, pas parce qu’ils ont un besoin d’argent extrêmement pressant.”

Erika Lust estime que l’on peut parler d’évolution dans l’industrie du porno. “Aux Etats-Unis, il y a la réalisatrice Candida Royalle. C’est une pionnière. Elle fait du porno respectueux des femmes depuis les années 1970. Mais maintenant, partout en Europe, des réalisatrices de porno se font connaître. En Angleterre, il y a la très productive Anna Span. Aux Pays-Bas, l’Américaine Jennifer Lyon Bell a acquis une certaine notoriété. Et, en France, des réalisatrices ont tourné des courts-métrages X, en collaboration avec Canal + [la série X-Femmes, diffusée en 2008 et 2009 sur la chaîne cryptée]. Parmi elles, il y avait par exemple Zoe Cassavetes, la fille du cinéaste John Cassavetes. Chacune le fait à sa façon. L’une avec des amateurs, l’autre dans le style art et essai ; une autre encore va tourner des films pour lesbiennes.”

Mais il ne s’agit pas simplement de petits films bricolés destinés à la marge, précise Lust. “Sinon, mon entreprise ne marcherait pas aussi bien.” Au début, elle a eu du mal à vendre The Good Girl à l’industrie du porno. “Ils ne pensaient pas que cela pouvait rapporter. Les femmes n’allaient jamais acheter ça. Les femmes ne dépensent pas d’argent pour le sexe, voilà ce qu’ils pensent. Nous avons alors proposé The Good Girl sur Internet, en téléchargement gratuit. Il a été téléchargé des millions de fois. On a beaucoup écrit et parlé du film. Cela m’a ouvert les yeux : il y avait bien une demande pour ce genre de films.” Les femmes sont “consommatrices” de sexe, assure Erika Lust. “Avant, le marché du sexe était le domaine des hommes. Le porno était pour les hommes. Les sex-shops étaient pour les hommes. Les salons de massage étaient pour les hommes. Mais les femmes se rattrapent. Regardez les boutiques érotiques que l’on voit surgir partout. On n’y sent pas ce curieux mélange de produits d’entretien et de caoutchouc, il n’y fait pas sombre et il n’y a pas un vieux dégueulasse derrière le comptoir. Ce sont des boutiques spacieuses et bien éclairées, avec un personnel aimable. On dirait des boutiques de vêtements de luxe.”
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